Tribune publiée dans Le Monde, le 10 février 2024
Alors que la Chine subventionne massivement sa production de panneaux photovoltaïques, l’Union européenne doit imposer des quotas et des droits de douane comme l’ont déjà fait les Etats-Unis, affirme la députée européenne (LFI) Marina Mesure.
Les responsables de l’un des deux derniers producteurs de panneaux solaires en France, Systovi, ont alerté les pouvoirs publics au sujet de la situation extrêmement préoccupante de la filière photovoltaïque nationale. Les stocks s’accumulent désespérément dans leur usine de Carquefou (Loire-Atlantique).
Faute de nouvelles commandes, l’entreprise a été contrainte de supprimer l’équipe de nuit, plongeant des centaines de salariés dans l’inquiétude pour leur avenir professionnel et celui de la filière.
La situation de Systovi n’est pas un cas isolé puisque l’ensemble des entreprises européennes du secteur sont en péril. Ainsi le dernier producteur de panneaux solaires allemand, Meyer Burger, vient d’annoncer la délocalisation de sa production aux Etats-Unis, tandis que cinq autres producteurs européens, notamment en Autriche et aux Pays-Bas, ferment définitivement leurs portes.
Une guerre commerciale
Au-delà des emplois, c’est un savoir-faire d’exception, essentiel à la transition énergétique que nous risquons de perdre. Si nous ne faisons rien dans les six semaines, ce sont plus de deux mille emplois qui pourraient disparaître, et avec eux, notre souveraineté énergétique et industrielle.
Comment expliquer une telle situation alors que la demande européenne en panneaux solaires grandit chaque jour et que l’Europe s’est fixé des objectifs très ambitieux de développement des énergies renouvelables qui devraient assurer aux producteurs des carnets de commandes remplis pour de nombreuses années ?
Le libre-échange est responsable de cette hécatombe. La Chine a décidé de livrer une guerre commerciale à ses concurrents, en vendant des panneaux solaires au-dessous même de leur coût de production grâce à des subventions massives.
Alors que l’Union européenne est restée passive, les Etats-Unis ont, à juste titre, mis en place des barrières douanières empêchant l’entrée sur leur marché des panneaux solaires chinois. Une mesure que le président Biden a couplée d’un plan massif de subventionnement de son industrie, l’Inflation Reduction Act (IRA), pour relancer la filière locale et ne plus dépendre des productions étrangères.
Naïveté
La Chine a donc reporté sa production sur l’Europe qui, du fait de la naïveté des dirigeants européens, reste quant à elle ouverte aux échanges, entraînant une crise sans précédent pour la filière.
Avant 2023, les panneaux solaires chinois coûtaient déjà deux fois moins chers que la production made in France, mais les producteurs nationaux restaient compétitifs au vu de la qualité de leur production et de la préférence nationale de certains acheteurs.
La Chine a accéléré à partir de l’été 2023 la baisse du prix de ses panneaux photovoltaïques pour achever la concurrence européenne. Ainsi, en seulement six mois, le prix des panneaux chinois a été divisé par deux, entraînant une demande massive pour ces produits qui envahissent le marché européen.
Les producteurs européens ne peuvent désormais plus faire face à cette concurrence déloyale. Aujourd’hui, la demande en panneaux chinois est telle que des stocks équivalant à deux ans de vente de nouveaux panneaux solaires se sont constitués en Europe.
Désastre industriel
Deux ans de stocks de panneaux chinois sur le sol européen, ce sont deux ans de carnets de commandes vides pour les entreprises européennes qui manquent déjà cruellement de trésorerie. Il est urgent d’agir pour sauver les derniers producteurs européens, alors que près de 90 % des panneaux solaires installés en France sont importés !
Cette situation n’est cependant pas sans issue. La Commission, à la demande d’un Etat membre, peut mettre en œuvre des quotas et des droits de douane pour protéger l’industrie européenne du dumping chinois. Alors qu’attendons-nous pour stopper l’hémorragie ? La Commission et la France restent sourdes aux nombreux courriers des producteurs européens de panneaux solaires demandant la mise en œuvre de cette clause de sauvegarde.
Chaque jour compte pour éviter un désastre industriel. Le gouvernement français a non seulement la possibilité, mais le devoir d’exiger de la Commission de protéger notre appareil productif. Cette option est bien connue de Bruno Le Maire qui a été saisi plusieurs fois par courrier à ce sujet.
Une inaction qui interroge
En parallèle de cette mesure, la France doit acheter des panneaux solaires aux producteurs nationaux pour donner de la visibilité financière à ces entreprises, mais, là encore, rien n’est fait en ce sens.
L’inaction des pouvoirs publics interroge. Les prix très attractifs des panneaux solaires chinois profitent à certains intermédiaires et producteurs d’électricité qui peuvent augmenter leurs marges. Cette situation pourrait laisser supposer que le gouvernement défend les intérêts à court terme de quelques-uns, au détriment de la protection de la souveraineté industrielle du continent. Mais sans acteur européen, ces intermédiaires et producteurs d’électricité seront eux aussi perdants : la Chine, en situation de monopole, pourra imposer unilatéralement ses prix à l’Europe.
Cette situation dramatique affecte au-delà de la seule production de panneaux photovoltaïques. Le dumping permis par le libre-échange affecte toute notre économie, de la construction d’éoliennes au monde agricole. C’est donc tout un système, reposant sur un marché globalisé sans régulation, qui montre ses limites. Il est temps de changer de cap et de mettre en œuvre une politique commerciale protectionniste comme levier de la réindustrialisation du continent, pour notre souveraineté.
Crédit photo : Carl Attard