Tribune publiée dans Libération le 18 juillet 2023
Lors de son discours sur l’État de l’Union, la Présidente de la Commission européenne tirait les leçons de la crise des prix de l’électricité en appelant à la fin du système marginaliste de fixation des prix qui indexe de fait le prix de l’électricité sur celui du gaz, alors que le bon sens exige que le prix payé par l’usager corresponde au coût réel de l’électricité.
ENGIE prévoit que les prix de du gaz resteront au moins deux fois supérieur aux prix d’avant-crise, a minima jusqu’en 2027. De l’extrême droite aux écologistes européens, les groupes se sont mis d’accord en commission de l’énergie pour le maintien du système marginaliste, au seul profit des producteurs et fournisseurs d’électricité qui continueront à réaliser des marges conséquentes. Cette pseudo réforme a surtout pour objet le maintien des profits des producteurs et des fournisseurs, au détriment de la compétitivité économique du continent et du niveau de vie des ménages. Les prix de l’électricité continueront à fluctuer et à rester à des niveaux élevés, menaçant la survie de millions d’entreprises, alors que les Etats-Unis proposent de subventionner les entreprises qui s’installent chez eux. Cette réforme est le terreau d’une nouvelle vague de délocalisations et de faillites.
Pire encore, l’accord du Parlement européen érode un peu plus la capacité pour la puissance publique d’intervenir sur les prix de vente de l’électricité et la planification du déploiement de nouvelles capacités de production électrique. Cette législation européenne prévoit la fin des tarifs réglementés pour les ménages et les entreprises, alors que ceux-ci réclament leur maintien.
La réforme propose aussi d’encourager la privatisation de l’électricité la moins chère à produire par les grands industriels . Ces achats directs d’électricité au producteur créeront de grandes distorsions de concurrence entre entreprises, au désavantage des PME qui n’auront pas les moyens de signer de tels contrats.s. Les PME représentent pourtant 99% des entreprises en Europe et sont les maillons essentiels de la stratégie de réindustrialisation. Les ménages, eux-aussi, seront les grands perdants
Au-delà d’une réforme pro-marché, ancrée dans une vision à très court terme, qui nous éloigne encore un peu plus d’une gestion publique de la production et de la vente d’électricité, ce texte nie même des considérations d’ordre moral. Droite et extrême droite ont combattu avec succès l’interdiction des superprofits des énergéticiens. Ils ont aussi obtenu que soient retirées du texte des mesures protégeant les ménages contre les coupures de chauffage électrique : la seule garantie donnée sera que l’électricité ne soit pas coupée, mais le niveau de puissance maintenue ne permettra vraisemblablement pas de se chauffer ou cuisiner.
Il est essentiel de revenir à une gestion publique de ce bien essentiel. La main invisible du marché ne peut pas planifier un secteur aussi complexe et stratégique que celui de la production d’électricité. La puissance publique doit réguler les prix de l’électricité pour que ces derniers correspondent à leur coût de production, au lieu de laisser les ménages et les entrepirses aux prises avec une multitude de fournisseurs qui ne font qu’acheter l’électricité pour la revendre plus cher. La facture des ménages et des entreprises doit permettre le déploiement de nouvelles capacités de production d’énergie dans le cadre de la décarbonation de notre société, et non à remplir les poches d’actionnaires avides de profits. Finissons-en avec un système en place depuis 20 ans qui ne bénéficie qu’aux énergéticiens, au détriment de toute la société. Le 19 juillet, la commission de l’énergie du Parlement européen votera sur cette réforme qui s’annonce être un fléau économique et social. Il est encore temps de se mobiliser pour que les parlementaires la rejettent.